(Reportage) Johanne Sutton, 20 ans après: comment assurer la sécurité des journalistes en terrain difficile?

Il y a 20 ans, la grand reporter de RFI Johanne Sutton était tuée en Afghanistan dans une embuscade. Sa mort, à l’époque, a pointé le manque de sécurité des journalistes en zone de conflit. Les conditions d’exercice des journalistes là-bas ne sont pas les mêmes hier qu’aujourd’hui. C’est surtout sur la préparation en amont que des efforts ont été faits. Des propos recueillis par Antoine Couillaud de l’École supérieure de journalisme de Lille.
Pas de casque ni de gilet pare-balle. Pour seul compagnon ou presque un téléphone satellite où chaque coup de fil coûtait entre 50 et 100 € par minute. Une autre époque que raconte Marc Epstein. Il était l’envoyé spécial de l’Express en Afghanistan au moment de la mort de Johanne Sutton en novembre 2001.
« Tous les objets, et les réflexes, et les techniques qui sont aujourd’hui monnaie courante pour les envoyés spéciaux dans des zones de conflit n’existaient pas et il n’y avait pas non plus de politique forcément très organisée dans les rédactions pour assurer votre sécurité. »
Des stages plus nombreux pour la sécurité des journalistes
À l’époque une seule formation existe. Elle est réservée à un tout petit nombre de journalistes dont Marc Epstein faisait partie. Ces stages sont aujourd’hui plus nombreux. En particulier au sein des rédactions de France Médias Monde, où la mort de Johanne Sutton a provoqué un choc. Alberic de Gouville était le chef du service reportage de RFI.
« Tous les journalistes de mon service, du service reportage, mais tous ceux qui étaient amenés à partir à RFI, on a suivi des stages qui s’appelaient Bioforce. C’était organisé par l’armée avec des ONG notamment. Et en 2013, quand, à Kidal, ont été tués Claude Verlon et Ghislaine Dupont, on a organisé nous-mêmes les stages, avec quelqu’un qui est un ancien militaire, Jean-Christophe Gérard, et ça s’est professionnalisé vraiment. Et là, je me dis, aujourd’hui, que Johanne serait peut-être vivante si on avait eu les mêmes process de sécurité. »
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Des disparités dans les formations proposées par les rédactions
Les journalistes sont formés aux premiers secours et aux règles de sécurité. Ils sont aussi encadrés à distance par leurs rédactions. Margaux Benn est correspondante en Afghanistan depuis 2018 pour France 24, elle en bénéficie. « J’étais suivi par leur référent sûreté et c’est ce référent qui valide ou non les missions. Donc, quand je souhaitais partir en reportage, il fallait que je remplisse une fiche avec un certain nombre d’informations. Et puis aussi que j’explique la mission que j’envisageais de faire. Et en fonction de ces informations, le référent sûreté donnait ou non son feu vert. Et en cas de feu vert, il fallait que j’apporte avec moi une balise satellitaire pour être traçable à tout moment. »
Le dispositif qu’elle décrit n’est pas proposé par toutes les rédactions. Rien de semblable pour la journaliste indépendante Morgane Bona, encore récemment en Afghanistan. « Alors pour me protéger, rien, à part moi-même. Je n’ai pas eu d’entraînement spécifique. La sécurité, je l’ai apprise sur le terrain. J’ai appris à prendre soin de moi avec des collègues, d’avoir une solidarité, d’avoir des chefs qui sont quand même présents, qui te suivent, qui te demandent comment tu vas, comment va le moral, parce qu’en fait le plus important c’est le moral, c’est de ne pas craquer moralement. »
Selon Reporter Sans Frontières, deux journalistes ont été tués en Afghanistan depuis le début de l’année.