Podcast : Sur la route du lin

Sur la route du lin est un podcast réalisé dans le cadre de mes cours à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille). A travers le fil rouge de la confection d’un vêtement en lin du début à fin, j’aborde les sujets de fonds d’un secteur industriel textile en pleine mutation, avec certains des principaux acteurs de celui-ci.

Portez-vous du lin ? Peut-être un pantalon, un t-shirt ou une chemise ? Pour moi c’est le cas. Et j’en vois de plus dans la rue et les boutiques, en été comme en hiver. Et derrière le grand retour de cette fibre dans nos dressings, il y a surtout une nouvelle filière française qui se dynamise, que ce soit chez les agriculteurs, les artisans et les commerciaux.

C’est la multiplication des champs et la relocalisation des usines, c’est le retour d’un savoir-faire qui se perdait et c’est aussi  l’ouverture de nombreuses perspectives, en termes de culture, d’emploi et d’environnement. De la graine à la tige, du fil au tissu jusqu’à la confection, je suis allé à la rencontre des principaux acteurs dans la réalisation d’un vêtement en lin de A à Z.

Je m’appelle Antoine Joubeau, je suis journaliste et surtout passionné de vêtements et de cette fibre. Je vous emmène sur la route du lin en France.

La France, terre de lin

C’est d’abord une toute petite graine plate, riche en huile, que les agriculteurs de lin plantent en avril. Cette graine, du lin, met 110 jours à pousser, pour atteindre un mètre dix. Cette longue tige a à son extrémité des bulbes de graines. Et surtout, pour le plaisir de tous, des bourgeons qui révèlent une fleur bleu, juste le temps d’un matin mi-juin, et puis fanent.

Le lin, c’est une culture produite presque intégralement en France, sur toute la côte de la Manche. De Caen, en Normandie, à Amsterdam aux Pays-Bas.

Xavier Fournier est liniculteur à Tincques, dans les Hauts-de-France. Il est aussi représentant syndical pour sa filière, à la FNSEA.

J’en ai profité pour en savoir plus sur les enjeux de la culture du lin.

Interview de Xavier Fournier, liniculteur

Xavier Fournier : Il y a un délai de 7 ans à respecter entre 2 mêmes cultures. Par exemple, le lin textile. Si on le sème en 2021, on ne peut pas le remettre dans le même champ avant 2028. Sinon la plante ne va pas bien pousser. C’est une culture qui est soumise aux aléas climatiques. Ce qu’il faut, c’est un climat favorable. Et le climat favorable c’est un climat maritime qu’on obtient sur tout le pourtour de la Manche.

Et pourquoi en France on est si abonné au coton alors que le lin c’est juste ici ?

XF : Et bien parce que le lin ne représente que 0.4% des fibres textiles mondiales. On n’en fabrique pas assez pour habiller tout le monde.

Et ça, ça se développe quand même en France le lin ? Fin il y a de plus en plus de culture de lin etc ?

XF : Ça se développe, oui, ça se développe puisqu’on a réussi à doubler les surfaces puisqu’il y avait le doublement de la demande. Mais on ne pourra pas faire de lin dans les montages, donc il y a une difficulté d’augmenter les surfaces dans une région qui ne peut plus se développer. C’est une région qui est déjà fortement urbanisée, qui a déjà d’autres cultures.

La seule filature de lin en France

Une fois séché et teillé, le lin devient de la filasse. Et au premier regard, on dirait sincèrement des cheveux blonds secs et abîmés. Donc, pour embellir cette touffe, on la peigne. Autrement dit : on la démêle et on y enlève débris et nœuds. Voilà, le lin est prêt pour devenir du fil, et pour ça, ça se passe dans une filature.

En France, il n’y en a qu’une : exactement à Hirsingue en Alsace. Elle s’appelle Emmanuel Lang et est gérée par Pierre Schmitt. Il l’a racheté et fait renaître de ses cendres il y a près de 10 ans. L’entreprise avait été délocalisée comme beaucoup d’autres dans l’Est de l’Europe.

Il est venu me chercher en voiture à Mulhouse.

Interview de Pierre Schmitt, gérant de la filature Emmanuel Lang

Pierre Schmitt : C’est une aventure industrielle un peu… très particulière disons. Quand vous relocalisez une filière textile comme celle-là, vous cumulez tous les handicaps. Vous êtes contre-courant, la relocalisation. Bon évidemment maintenant, les gens trouvent ça un peu plus normal mais y’a une dizaine d’années, c’était épouvantable;

Donc à l’époque y’avait une vraie aventure industrielle dans tous les sens du terme. Et dans les années 80s, ça a été le début de la fin. Tout l’esprit d’entrepreneuriat, de création, d’innovation  qui s’est perpétué pendant des siècles : ça a été rayé d’un coup de crayon.

Il ne faut jamais oublier que Mulhouse a été un centre industriel de premier plan depuis 1746. Nous on profite de notre culture textile en Alsace qui fait partie de notre culture industrielle. Le fait d’avoir des écoles d’ingénieur, le fait d’avoir un constructeur de machines, le fait d’avoir des laboratoires qui ont toujours travaillé avec le textile nous permet de nous appuyer sur des vrais compétences.

Face à la fatalité dans laquelle on est tombé, on a dit qu’on ne pouvait plus faire du lin il y a quelques années, on a démontré que c’est possible. Je pense qu’on a redonné espoir à tous les acteurs de cette filière, de démontrer finalement que c’est possible tout simplement.

Plusieurs filatures ont emboîté le pas et c’est une bonne chose, il y a de la place pour tout le monde. Je n’ai pas peur de la concurrence, au contraire. Ça permet de valider la crédibilité de cette filière et c’est une très bonne chose.

Donc je pense qu’on est en train de rentrer dans une filière de matériaux biosourcés. On n’est qu’au début mais je pense qu’elle va s’implanter sur tout le territoire et pas seulement qu’en France. Également en Europe, même les Suisses s’intéressent au lin. Donc elle va retrouver sa légitimité qu’elle avait perdu au siècle dernier.

C’est quoi les étapes de la filature du lin ?

PS : Et bah le mieux c’est de voir !

Filer du lin

A quelques pas de là, dans l’usine juste en face, je suis allé voir Thierry, le responsable de la filature, avec une question en tête : quelles sont les étapes d’une filature de lin ?

Thierry : Les étapes d’une filature de lin, c’est relativement simple. On reçoit des grandes fibres de lin qui font à peu près 80cm. Nous on les raccourcit à peu près 25 cm. On les affine en les étirant. Et une fois qu’elles sont assez affinées et assez étirées, on les met en filature, ce qui consiste encore une fois à les étirer très finement. On part d’un ruban pour arriver à du fil.

Voilà, c’est tout. C’est ça le fil. C’est une fibre qu’on affine on affine jusqu’à ce qu’on ait juste de quoi faire un fil. L’opération en soi n’est pas longue, à préparer ça prend une semaine, à filer ça peut prendre 1 mois et demi. On ne va pas tourner à des vitesses très importantes hein.

Tisser du lin et résister à la délocalisation

Après le fil, le tissu. Direction à Halluin à la frontière belge chez Lemaitre Demeestere. Olivier Ducatillion est à la tête de cette entreprise de tissage. C’est le seule en France à ne faire que du lin et il avoue que ce n’est pas facile tous les jours.

Interview d’Olivier Ducatillion, gérant de l’entreprise de tissage Lemaitre Demeestere

Olivier Ducatillion : C’est compliqué mais c’est un choix pour se différencier. C’est un choix qu’on a fait en poussant les qualités intrinsèques de nos métiers et les capacités techniques de nos métiers. Et quand vous avez la fibre à côté de chez vous et que vous, vous tissez à côté de la région où se trouve votre fibre, vous vous dites qu’en terme de bilan carbone, d’impact environnemental, vous êtes exemplaire et c’est ce qui correspondant à notre engagement, à nos valeurs et à notre volonté. 

Pourquoi produire en France, surtout que ça doit coûter plus cher ?

OD : Vous êtes dans le berceau du lin. On est rue de la Lys, ça ne s’invente pas. La lys, cette rivière qui coule à côté de chez nous. Vous aviez dans cette même rue il y a 30 ans, vous aviez 15 tisseurs. Et aujourd’hui il n’en reste que 2 et l’autre étant un tisseur qui fait complètement d’autres choses qui n’ont rien à voir avec le lin. Tous les tisseurs étaient au bord de la Lys. C’est un berceau du lin parce que le lin pousse dans les Hauts-de-France et parce que les Hauts-de-France sont une terre textile.

La difficulté du lin, et c’est aussi pour ça que les gens ne se battent pas pour tisser du lin, parce que le lin est beaucoup plus compliqué à tisser que n’importe qu’elle autre matière. Le lin est une matière vivante et le lin est une matière qui bouge, et d’un lot à un autre, vous aurez toujours des différences et cette nouvelle aventure qui commence.

Donc le tisserand doit bien choyer son métier, en prendre soin et faire attention à chaque fois qu’il y a un fil qui casse, d’être capable de le réparer rapidement. Un autre tisserand, on coupe, on repart et on relance la machine.

Tisser du lin

Et en parlant de machine, Christian, le directeur de production, m’a montré comment fonctionne un métier à tisser.

Christian : Chaque fil est pris dans une lamelle qui passe dans un cadre qui permet de lever et baisser les fils. Pour faire un tissu, on a besoin de deux fils : un fil vertical et un fil horizontal. Les fils du haut vont passer en bas, ceux du bas en haut, et ainsi de suite. Et après ça forme un tissu. Je vais vous montrer maintenant.

La mode des vêtements en lin

Puis quand le tissu est prêt, il est ensuite teint et ennoblie. Et enfin, arrive la dernière étape dans la fabrication d’un vêtement en lin : la confection.

Je suis allé à Evrecy en Normandie dans l’usine de LINportant. Djemila est ouvrière là-bas et assemble actuellement des t-shirts pour une jeune marque angevine.

Interview de Djemila, ouvrière chez LINportant

Vous faites quoi là du coup ?

Djemila : Je suis en train de surfiler, donc en gros je suis en train d’assembler les manches au corps du vêtement, donc ça se fait avec une surfileuse à quatre fils qui est à compression d’air, donc c’est pour ça qu’on entend le « pscht ». La gamme de production qui permet de faire un t-shirt en 10-12 minutes. 

La première étape c’est ici du coup ?

Djemila : La première étape c’est au niveau de mon collège, on fait l’assemblage épaule à son niveau, ensuite on va préparer les cols, ensuite on monte les cols sur le vêtement. Ensuite on passe ici, assemblage manche et des côtés et ensuite le dernier poste c’est ma collègue devant moi qui est en train de faire les finitions. Donc les ourlets des bas de manche et les ourlets des bas du vêtement. Et après le vêtement est fini, prêt à exporter.

Interview de Paul Boyer, gérant de LINportant

Paul Boyer est le gérant de LINportant et croit sincèrement dans le vêtement en lin. Il cherche à relocaliser ce savoir-faire en France.

Paul Boyer : Sur la partie confection, c’est la partie qui est la plus compliquée aujourd’hui en France parce qu’on a démonté toute notre industrie de confection textile. On a délocalisé à partir des années 80. Donc aujourd’hui il y a très peu de savoir-faire et des personnes qui ont l’habitude en France de monter des t-shirts en série. Donc on a en France heureusement pu garder des savoir-faire grâce à l’industrie du luxe mais sur des volumes plus petits et sur des types de produits plus complexes.

L’idée c’était de créer un acteur industriel avec de la fabrication en série, avec ce qu’on avait dans l’industrie textile parce que tout le monde porte des vêtements. Donc y’a besoin de produire sur des volumes importants. Et ça, on l’avait complètement sorti en France, on n’avait gardé que la partie luxe. Alors il y aussi des volumes importants en luxe, mais c’est pour une petite partie de la population. Là on est sur un produit qui peut s’adresser à bcp plus de gens.

J’ai vu que c’est 40-45€ le t-shirt.

PB : Quand on les vend en direct, on les vend à 45€.

Et j’imagine quand c’est les autres marques, c’est plus élevé

PB : On a des clients qui ont vendu des t-shirts qu’on a produits entre 36€, d’autres à 75€, pour donner un ordre de grandeur.

Est-ce qu’on pourra imaginer un vêtement en lin made in France à 20€ ?

PB : 100% lin, made in France, en prix de vente au détail en boutique, non. Jepense qu’aujourd’hui ce n’est plus possible avec le prix du lin tel qu’il est. 

C’est quoi la perspective d’avenir avec le chanvre ?

PB : Il y a une demande en aval, de l’industrie de la mode qui est forte, pour des produits en chanvre. Et donc bien évidemment on travaillera le chanvre, si possible en bio. Et donc on va travailler sur cette filière qui est en train de démarrer, à la différence du lin qui est déjà bien implanté.

Celle du chanvre est nouvelle et va s’appuyer sur celle du lin parce tous les outils de transformation textile sera rigoureusement identique de sorte que le fil de chanvre qui va sortir, aura bien sûr quelques différences, mais sera très proche des fils de lin qu’on a et donc on pourra s’appuyer sur tous les savoir-faire qui existent déjà sur le lin.

Et donc ça va aller beaucoup plus vite pour développer une filière chanvre en Normandie que partout ailleurs où y’a pas cette existence du lin. Donc on va pouvoir travailler du chanvre et il me tarde de tester des t-shirts 100% chanvre normand dès peut-être 2022.

Crédits

Ce podcast a été réalisé dans le cadre d’un projet étudiant dans les studios de l’Ecole de journalisme de Lille. Merci Xavier Fournier, Pierre Schmitt, Olivier Ducatillion et Paul Boyer.

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